Pourquoi écrire ?

Sans doute y a-t-il une multitude de réponses à cette question, et en un sens autant qu’il existe d’écrivains. Sans doute aussi pour nombre d’entre eux, le motif est-il lié à la nécessité d’exprimer des ressentis en lien avec des parts essentielles de leur personnalité – et en un sens, je ne fais sans doute pas exception, et cette justification pourrait aussi s’appliquer à ma propre écriture. Mais à l’heure de dire ce qui me fait écrire, ce n’est pas la dimension que je retiendrai.

Au moment de prendre le stylo pour coucher des vers sur une feuille, ou lorsque, installé face à mon ordinateur je laisse filer dans mes doigts les phrases qui composeront une prose, c’est toujours ultimement le désir de la beauté qui me convoque à cette œuvre. Le désir de dire, de rechercher, d’invoquer, de faire venir à moi et résonner en mon être la beauté. Je ne peux écrire par jeu, ni par goût du style, ni simplement pour reporter, et quand je suis vraiment à l'œuvre, c’est que quelque chose s’est emparé de moi, m’a ferré depuis les profondeurs du monde, et me soumet alors à l'impératif de dire.

Nietzsche a écrit quelque part que sans la musique, la vie serait une erreur. Il aurait dû dire : sans la beauté. Sans la beauté la vie n’aurait pas de sens, et c’est bien ce qui est beau qui nous indique la direction de ce vers quoi nous devons tendre, vers quoi nous devons nous efforcer. Le destin qui m’a fait écrivain a commencé par me faire à peu près inapte à demeurer hors du sens, et le reste à suivi. La nécessité d’aller toujours à la recherche du beau. La capacité de le sentir, comme les chevaux sentent l’approche de l’orage, et les bêtes sauvages, celle des ébranlements de la Terre. Et par une grâce qui pour moi est la plus haute de toutes, la capacité de transcrire ce que je perçois dans la trame du monde.

J’écris pour dire la beauté, pour lui donner corps dans les mots, et par ce geste, pour la louer. Beaucoup se plaisent à dire que la beauté est dans le regard de celui qui contemple. Je crois cette idée reçue largement fausse. Il est certaines beautés qui en effet dépendent des croyances sur lesquelles on les fait reposer ; c’est celles qui relèvent des canons d’une société, des normes, des mœurs, des modes. Ce sont les beautés moindres. La vraie beauté réside dans les êtres. Dans les hommes, les femmes, les enfants, bien sûr, et dans tout ce qui était là lorsque nous sommes venus au monde, nous l’espèce créatrice. Et aussi dans le mouvement qui nous porte de l’avant dans ce que nous sommes et dans ce pour quoi nous sommes. Dans l’ordre de cette beauté, la destin m’a fait apte à de profondes intuitions. Je chéris ce que je vois. Je m'y mêle par instants du fond de mon âme. C’est cela que je veux exprimer.